Comment les firmes se financiarisent : le rôle de la réglementation et des instruments de gestion. (2024)

1L’une des mutations majeures du capitalisme au cours des dernières décennies estcertainement ce que l’on désigne par le terme financiarisation. Cette notion renvoie àla fois à la place croissante occupée par les marchés financiers et leurs acteurs dans lefonctionnement de l’économie et à la progressive imposition d’indicateurs et d’objectifsqui servent leurs intérêts dans la conduite des activités économiques (Epstein, 2005).De nombreux travaux ont permis de documenter le poids croissant des activités financières dans l’économie (Krippner, 2005 ; Crotty, 2005) et le rôle grandissant des opérations financières au sein des secteurs non financiers (Froud et al., 2002 ; Baud etDurand, 2012). La plupart de ces travaux se sont inquiétés des conséquences de cenouveau capitalisme en termes de stabilité (Boyer, 2000) et d’inégalités entre travailleurs, et entre le travail et le capital (Duménil et Lévy, 2001 ; Godechot, 2012 ; Lin etTomaskovic-Devey, 2013). Des effets sur les activités quotidiennes des entreprises sontaussi notés : cette financiarisation de la gestion apparaît dans la plupart des recherchescomme résultant des actions menées par les dirigeants pour atteindre des objectifs« financiarisés » généralement fixés par des actionnaires issus des marchés financiersinstitutionnalisés [1] (Lazonick et O’Sullivan, 2000 ; Andersson et al., 2010). Ces changements se traduisent en interne par des luttes conduisant le plus souvent à la dominationdes groupes financiers sur les autres groupes professionnels (Gleadle et Cornelius,2008 ; Ezzamel et al., 2008) et à l’instauration d’une conception financière de l’entreprise, de sa gouvernance, et de son contrôle (Fligstein, 1990 ; Davis, 2009). Malgrél’abondance de la littérature existante, on sait en revanche peu de choses sur la façondont des transformations relatives aux marchés financiers parviennent à affecter toutesles entreprises, y compris celles qui n’ont pas recours aux marchés ou à des fondsd’investissem*nt pour se financer, soit parce qu’elles sont trop petites pour y accéder,soit parce qu’elles préfèrent avoir recours au crédit bancaire, à l’autofinancement, ouencore à un financement de type familial.

2Nous proposons dans cet article de contribuer à documenter les processus de transmission en jeu en étudiant le cas d’une entreprise singulière, la Banque mutuelle (BM),qui a connu récemment une transformation considérable de ses modes de gestion quenous interprétons comme une forme de financiarisation. Cette banque est remarquablepar le fait qu’aucune des causes classiquement invoquées pour expliquer la financiarisation n’est vraiment pertinente dans son cas. Elle ne relève en effet pas du modèle dela grande banque internationale à but lucratif privée. La BM est une petite banque mutualiste française adossée à l’un des principaux groupes bancaires français, l’UBM (l’Uniondes banques mutualistes). Elle a été créée par des organisations dont les spécificitésétaient mal appréhendées par les banques classiques et qui souhaitaient développer solidairement leur accès aux services bancaires. Les clients, majoritairement des PME, sonttous sociétaires de la banque. Les détenteurs du capital sont donc des clients dontl’objectif premier est d’obtenir un service bancaire de qualité, et non une rentabilitémaximale. En conformité avec les principes du mouvement coopératif, les parts socialesde la BM, lorsqu’elles sont rémunérées, le sont d’ailleurs à un taux assez faible qui nepeut statutairement pas excéder le taux moyen des rendements obligataires. La BM n’estpas pour autant une banque en déclin (son activité est dynamique) ou fragile (elle estbien capitalisée). Elle est donc faiblement dépendante des jugements des marchés financiers et n’a pas non plus par construction à maximiser la rentabilité du capital.

3L’étude du cas de cette banque montre que le facteur qui a engagé sa financiarisation est la mise en œuvre, en France, de la réglementation prudentielle issue desAccords de Bâle (Encadré 1). La financiarisation du crédit qui intervient à la BM n’estdonc pas le produit de la pression des marchés financiers ou de la concurrence bancaire mais d’une réglementation dont l’objectif est d’assurer la stabilité du systèmefinancier en limitant les risques pris par les grandes banques internationales pourmaximiser la rentabilité de leur capital. En ce qui concerne cette petite banque, laréglementation et les choix politiques de mise en œuvre semblent agir à contre-emploipuisque, alors qu’elle ne correspond pas au modèle des grandes banques internationales où le coût et la rentabilité du capital priment dans la définition des politiquesde crédit, elle se trouve obligée de transformer ses pratiques traditionnelles de créditet d’alimenter le processus de financiarisation. Le rôle de la puissance publique dansla fabrication des marchés financiers et l’accroissem*nt du pouvoir des acteurs financiers est reconnu (Schwartz et Seabrooke, 2008 ; Coriat, 2008 ; Krippner, 2011 ;Montagne, 2006) mais la financiarisation, directement par la réglementation, des pratiques de gestion des organisations reste à documenter. Dans le cas des Accords deBâle, plusieurs travaux ont certes suggéré leur contribution à la transformation desrelations de crédit (Blum et Martens, 2009 ; Lazarus, 2012b), mais les processusconcrets à l’œuvre n’ont pas été mis au jour. Pour réaliser ce travail, nous avons suiviprécisément la façon dont les dispositions prévues dans les Accords de « Bâle II »concernant le risque de crédit ont été traduites dans les méthodes de gestion de la BMet les effets qu’elles ont eus sur les relations de crédit de la banque.

Les Accords de Bâle visent à harmoniser, au plan international, les exigences réglementaires portant sur les banques qui ont une activité internationale. Ils émanent d’uncomité, le Comité de Bâle, qui réunit les autorités publiques de supervision bancaire desprincipales puissances du monde [2]. Les Accords de Bâle ont été modifiés à plusieursreprises, donnant naissance à trois versions successives : « Bâle I » (1988), « Bâle II »(2004) et « Bâle III » (2010). La deuxième version, si elle semble approfondir le cadreétabli par « Bâle I », marque en fait une transformation radicale du système de régulationdont les outils ont été reconduits et complétés par les Accords de « Bâle III » (Baud,2013a).
Les Accords ne sont pas directement juridiquement contraignants. Leur applicationpasse par une transposition dans les droits nationaux. La prégnance de ce dispositif sur lesystème bancaire français s’explique essentiellement par les choix politiques faits tant enFrance qu’au niveau de l’Union européenne (UE) qui contrastent fortement avec la situationaméricaine. Bien que la réforme aboutissant aux Accords de « Bâle II » ait été lancée en1998, à l’initiative du Federal Reserve Board des États-Unis, la mise en œuvre dans cepays a été tardive (courant 2011 alors que la date prévue était 2006), incomplète, et inclutdes réinterprétations d’envergure de nombreux points de la réforme. En comparaison, l’UEfait figure de bonne élève puisque les Directives dites « CRD » qui transposent le cadrebâlois sont préparées en parallèle des négociations et adoptées dès 2006 [3]. L’UE a en outreétendu le cadre de « Bâle II » jusqu’aux petites banques qui n’ont pas d’activité internationale, manifestant un projet d’harmonisation réglementaire qui excède largement celuides Accords. Puis, dans le cadre français, les marges de manœuvre qui pouvaient encoreexister ont été à nouveau réduites par les interprétations du superviseur bancaire. LaCommission bancaire [4] a en effet très clairement laissé entendre aux principales banquesfrançaises, dont le groupe UBM auquel la BM est adossée, qu’on attendait d’elles que tousleurs établissem*nts appliquent les méthodes internes de contrôle des risques « les plusavancées » dès le passage officiel à « Bâle II », le 31 décembre 2007.

4Le deuxième intérêt du cas de la BM pour comprendre comment la financiarisationvient aux entreprises les moins intégrées aux marchés financiers est lié au fait que saclientèle est largement composée de PME. Les banques, en tant qu’acteurs-clés intermédiaires, se trouvent de fait à diffuser des normes de bonne gestion financièrequ’elles inculquent aux entreprises qui sont leurs clientes d’autant plus efficacementque celles-ci sont dépendantes des crédits qu’elles distribuent. Ces crédits étant constitués à la fois d’emprunts (crédits moyen et long terme) et de facilités de trésorerie(autorisation de découvert ou crédit court terme), il n’est pas de petite organisationqui ne soit concernée à un moment ou à un autre de son existence. Sous l’effet de laréglementation, et non du fait de la pression d’investisseurs financiers qui seraiententrés dans son capital, la BM a donc été obligée d’adopter des méthodes de gestionplus financiarisées qui transforment ensuite les formes de discipline financière auxquelles elle soumet les entreprises qui sont ses clients-sociétaires. C’est ce doublemouvement que nous proposons de documenter ici.

5Après avoir précisé notre cadre et notre méthode de travail et explicité plus précisément en quoi le changement réglementaire étudié renvoie au processus de financiarisation, nous en suivons les répercutions au niveau des pratiques d’évaluation etde contrôle des crédits aux PME au sein de la banque, puis en dégageons les conséquences pour les relations qu’elle entretient avec les PME.

6La méthode que nous avons employée pour mener cette enquête a consisté à entrerdans l’analyse par les outils de gestion utilisés par les entreprises (Chiapello et Gilbert,2013). Ces derniers ne sont pas dissociables de prescriptions à validité générale(bonnes pratiques, normes, progiciels, réglementation, etc.) qui circulent sur un vastepérimètre national, voire international, et traduites, « éditées » (Sahlin et Wedlin,2008), dans des outils contextualisés, spécifiques à une organisation et à sa situationparticulière. La plupart des outils existent ainsi dans au moins une forme « circulante »et dans de multiples états « inscrits » et singuliers qui sont autant de variations à partirde la forme normative initiale (Chiapello et Gilbert, 2013, p. 248 sq.). Dans le casétudié, les dispositions réglementaires des Accords de Bâle doivent, pour devenireffectives, être transposées au niveau national puis incorporées dans les outils degestion de la BM tels que les dossiers d’analyse de crédit, les systèmes de notationdes emprunteurs, les méthodes de fixation des taux, les procédures de délégation. Etc’est ce processus de conversion en outils de gestion d’un texte réglementaire quenous nous sommes efforcées de documenter afin de pouvoir ensuite comprendrecomment la mise en œuvre des prescriptions réglementaires transforme les pratiquesorganisationnelles jusqu’à affecter d’autres organisations, ici clientes de l’organisation transformée.

7Cette démarche, qui consiste à suivre les outils de gestion dans différentes arènes(Burchell et al., 1985) afin de rendre compte à la fois de l’organisation quotidiennedes activités économiques qu’ils équipent et de la manière dont ils incorporent lesrègles collectives de régulation, nous permet d’aborder autrement le capitalisme etses changements (ici la financiarisation) : plutôt que d’étudier le capitalisme en tantque système global, nous l’examinons à partir du fonctionnement des entreprises etde leurs dispositifs de gestion. À bien des égards, un tel renversem*nt s’apparente àcelui que propose Michel Foucault, quand il passe de l’étude de l’État à celle de lagouvernementalité [5], qui a récemment largement fécondé les travaux en sciences politiques sur l’action publique (Lascoumes et Le Galès, 2004 ; Le Galès et Scott, 2008 ;Halpern et al., 2014).

8Si certains travaux ont pu souligner l’importance de textes normatifs tels que lesnormes comptables (Capron, 2005 ; Chiapello, 2005 ; Zhang et Andrew, 2014 ;Müller, 2014) dans l’entretien de dynamiques de financiarisation à l’échelle globale,l’impact de l’évolution des cadres normatifs est rarement suivi jusqu’au niveau organisationnel, et encore moins poursuivi jusqu’aux relations interorganisationnelles. Lasociologie économique a montré, quant à elle, que les interactions marchandes étaientlargement structurées par des outils et des systèmes techniques dévoilant en deça dela « main invisible » des économistes classiques, la main visible de la gestion(Chandler, 1977 ; Cochoy, 1999 ; Dubuisson-Quellier, 1999). On sait encore l’importance des appareillages techniques (Muniesa, 2005 ; Callon et al., 2007) dans la fabrication des prix. Ainsi, si le rôle des outils dans l’équipement des interactionsmarchandes a été largement décrit, le rapport que ces instrumentations entretiennentavec les cadres réglementaires et les politiques publiques reste faiblement exploré.

9Cette approche par les outils peut aussi permettre de comprendre les marges demanœuvre et d’interprétation dont disposent les acteurs lorsqu’il s’agit d’inscrire cescadres normatifs dans leur fonctionnement quotidien. L’organisation choisie est dece point de vue intéressante car la BM diffère du modèle de banque à partir duquelles régulateurs ont conçu l’Accord, lequel – nous le montrerons – nie aussi son projetmutualiste. Dans un premier temps, la BM s’est d’ailleurs activement engagée dansles mouvements visant à modifier le projet réglementaire. Cependant, une fois lesgrandes lignes de la réforme définitivement fixées, elle ne pouvait plus que tenter denégocier au mieux la mise en œuvre locale. La BM apparaît donc comme un cas idéalpour observer les possibilités d’une adoption uniquement « cérémonielle » du cadrebâlois et l’organisation d’un découplage entre la conformité institutionnelle et lesopérations quotidiennes (Meyer et Rowan, 1977).

10La deuxième version des Accords de Bâle porte des représentations inscritesdans la même conception libérale des marchés financiers (Baud, 2013a) que cellequi a largement alimenté les réformes, notamment américaines, à l’origine de lafinanciarisation (Krippner, 2011). Elle est aussi marquée, comme nous le montronsdans la section suivante, par une percée dans l’écriture de la règle d’une instrumentation (méthodes pour penser les problèmes, techniques de calcul et de décision)propre à la finance moderne. Ces éléments, inscrits dans un corps de savoirs particulier, participent à la financiarisation au sens où ils parlent une langue porteusede postulats, de systèmes de décision et de conventions sociopolitiques (Desrosières,2008) favorables aux investisseurs qu’ils tendent à étendre et à reproduire(Chiapello, 2015).

11L’analyse des nombreux documents disponibles sur le site internet du Comité deBâle, rendant compte des débats et de l’évolution des projets d’Accords, permet dedocumenter la financiarisation progressive de la pensée du crédit et des normes de lagestion des risques qui a accompagné le passage de « Bâle I » à « Bâle II » (Baud,2013b). Depuis le premier accord de 1988, l’outil principal du cadre bâlois est unenorme minimale de capitalisation qui permet de s’assurer que les banques disposent desuffisamment de fonds, sous forme de capital, pour absorber les pertes qu’elles pourraient subir au cours de leurs activités. Le but est de limiter le risque de faillite et decontribuer ainsi à la stabilité du système financier [6]. Les fonds propres minimum requisdépendent de la structure du portefeuille de crédits, la logique sous-jacente étant quedes crédits « plus risqués » génèrent des obligations de fonds propres plus fortes.

12La première transformation marquante a porté sur les modalités de calcul de cesexigences réglementaires, avec un changement des critères de différenciation descrédits au sein du portefeuille (Encadré 2). Ont été abandonnées les conventions decalcul s’appuyant ouvertement sur les qualités juridiques ou politiques des emprunteurs au profit de « notations » du risque fournies par les opérateurs financiers eux-mêmes, qu’il s’agisse d’agences de notation dans le cas de la « méthode standard »,ou des banques elles-mêmes dans le cas de la « méthode des notations internes »(méthode NI). Le capital exigé pour couvrir les risques pris par les banques dépenddans ce dernier cas de ce qu’elles estiment, elles, être leur risque, les critères durégulateur s’effaçant derrière l’expertise supposée des acteurs qu’il cherche à réglementer. Ce déplacement signe une première forme de financiarisation liée au pouvoiraccru confié à l’industrie financière.

Sous « Bâle I », le calcul du capital réglementaire relevait de règles simples fondéessur le type d’emprunteur. Le capital réglementaire devait s’élever à 8 % des encours decrédits, mais des pondérations pouvaient intervenir à la baisse. Certains crédits ne nécessitaient ainsi que 4 % de capital (crédits hypothécaires garantis par un bien immobilier),d’autres 1,6 % (prêts aux banques de l’OCDE), voire même aucun capital en protection, soit0 % (prêts à des États de l’OCDE). Le système incluait donc des jugements pour le moinsgrossiers sur les risques (aucun risque sur les États de l’OCDE) mais permettait un calculsimple et rapide. Ces modalités ont été totalement renouvelées avec « Bâle II », afin notamment de pondérer les risques selon des méthodes présentées comme « fondées sur desconcepts éprouvés » (CBCB, 2006, §5, p. 2). Les banques peuvent désormais utiliser deuxméthodes : la « méthode standard » et la « méthode des notations internes » (méthode NI).
Dans la méthode standard, les exigences en capital dépendent principalement des ratingsfinanciers (notations « externes ») attribués aux emprunteurs par des agences de notationagréées [7]. Dans la méthode NI, ce sont les notations attribuées par la banque elle-même àses emprunteurs (les notations « internes ») qui sont utilisées. Chaque note interne estcensée refléter un « niveau de risque » précis, celui que le crédit entre en défaut dansl’année à venir, exprimé sous la forme d’une probabilité appelée la probabilitéde défaut. Le calcul des exigences en capital est ensuite effectué en appliquant un modèlede mathématiques financières, le modèle ASRF (Asymptotic Single Risk Factor), aux probabilités de défaut ainsi établies par la banque [8]. Sur le plan théorique, le cœur du modèleASRF est la formule d’O. Vasicek (1987), qui peut être considérée comme un sous-produitdu modèle de R. C. Merton (1974), l’un des principaux piliers de la finance contemporaine(MacKenzie, 2003). La méthode de calcul repose en fait sur la transposition aux activitésde crédit, quels que soient les emprunteurs (y compris les personnes physiques, les entreprises non cotées et les organisations non lucratives diverses), de modèles théoriques élaborés à partir des années 1970 pour les titres échangés sur les marchés financiers. Dansces modèles, on considère que la situation future d’une entreprise peut être représentéepar une variable aléatoire suivant une loi normale dont les paramètres [9] peuvent être estimésà partir des informations fournies par les marchés financiers, et, en particulier, grâce auxprix des titres.

13Le changement des critères d’évaluation du risque est allé de pair avec l’adoptionde modèles de quantification directement issus des théories dominantes de la financede marché se trouvant désormais inscrites dans la réglementation (Encadré 2). Lathéorie financière trouve ainsi dans la loi un véhicule formidable pour déployer sonpouvoir performatif (MacKenzie et al., 2008). Il s’agit d’une autre forme de financiarisation : celle de l’instrument de quantification. Notons que cette adoption supposeégalement une représentation très particulière du risque de crédit défini entièrementen termes statistiques comme dans les techniques de scoring (Lazarus, 2012b), ce quisignifie une généralisation de ces approches bien au-delà des cas où elle est utiliséede longue date (crédits aux particuliers). Il s’agit aussi de l’adoption d’une conventionde valorisation importante de la théorie financière, selon laquelle les modèles doiventêtre probabilisés (Chiapello, 2015) puisque l’application de la méthode NI impose auxbanques de construire un système de notation permettant de déterminer quelle probabilité de défaut associer à chaque note, système qu’elles doivent calibrer statistiquement à partir de grands échantillons de données.

14Non content de changer les modalités de calcul du capital réglementaire,« Bâle II », contrairement à « Bâle I », prévoit également de multiples exigencesopérationnelles. Sont adjoints aux exigences en capital (dites « Pilier I ») des principesd’orientation des autorités prudentielles dans leurs tâches de supervision des banques(« Pilier II »), dont l’objectif est de s’assurer que les banques construisent des systèmes de gestion des risques adaptés à la complexité de leurs activités cohérents avecla façon dont se calcule le capital réglementaire [10]. Ainsi, pour avoir le droit d’utiliserla méthode NI (plus économe en capital que la méthode standard), les banques doiventpasser un use test, qui vise à prouver qu’elles n’ont pas conçu leur système de notationqu’à des fins « d’optimisation réglementaire » (pour économiser du capital), maisqu’elles s’en servent aussi au quotidien, notamment pour décider de l’approbation etde la tarification des crédits.

15Concernant cette dernière, le Comité de Bâle a d’ailleurs une idée assez arrêtée dela façon dont la prise en charge du risque doit être répartie entre les clients et lesapporteurs de capitaux. En premier lieu, selon une conception dominante en finance demarché, le capital doit servir à couvrir les variations de pertes autour de la moyenne(et non la totalité du risque) et être rémunéré aux taux en vigueur sur les marchésfinanciers. Il en découle que c’est aux emprunteurs qu’il revient de couvrir le coût durisque moyen ainsi que le coût du capital couvrant les variations autour de cettemoyenne. En second lieu, il est acquis que les emprunteurs doivent participer à concurrence de ce que l’on estime être leur risque individuel. Dès lors, la tarification de chaquecrédit doit dépendre de la note attribuée à l’emprunteur et prévoir la rémunération, autaux requis par les marchés, du capital mobilisé par la banque. En vertu de ces principes,les banques sont tenues d’analyser la profitabilité de leurs crédits en allouant à chacunle coût des fonds propres qu’il mobilise. Là encore, il s’agit bien d’une forme definanciarisation puisque le nouveau dispositif protège et légitime les intérêts des actionnaires au détriment des autres parties prenantes (ici des clients) [11], et pousse à uneindividualisation du risque et à sa tarification au coût marginal, aux dépens par exempledes approches qui favorisent la mutualisation du risque et sa prise en charge sur unebase solidaire par le collectif des emprunteurs. On voit clairement comment la construction théorique propre au raisonnement financier (ici une tarification selon le principed’une rentabilité rapportée au risque) s’articule aux intérêts des actionnaires, et donc lamanière selon laquelle la financiarisation des systèmes de calcul s’articule à la financiarisation conçue comme pouvoir accru des apporteurs de capitaux.

16Nous avons cherché à comprendre de quelles façons les changements identifiés auniveau du cadre réglementaire se sont traduits au sein de la banque. Du fait de ladécision européenne, bien que n’étant pas une banque internationale, cette dernièrese devait d’appliquer les Accords de Bâle. Cependant, elle avait en théorie le choixentre deux options : la méthode standard (notations externes) ou la méthode NI. Riena priori ne devait la conduire à adopter cette dernière. Elle n’en avait tout d’abordpas les moyens techniques car elle ne pratiquait pas la « notation interne ». En outre,en rendant obligatoire la tarification par le risque, cette méthode est contraire auxprincipes mutualistes qui ont fondé la banque. Pour finir, étant bien dotée en capitalet largement indépendante des jugements des marchés financiers et des objectifs demaximisation de la rentabilité du capital, la BM n’avait a priori pas de raison devouloir à tout prix bénéficier des exigences en capital moindres offertes par la méthodeNI. Ces questions ont d’ailleurs été largement débattues au conseil d’administration(CA) : le Directeur des risques y évoquait ainsi des « conséquences sérieuses sur lafaçon de se gérer pour les banques », et expliquait que le processus va « bien plusloin » qu’un changement de norme de fonds propres, qu’il touche « la déterminationde la politique des risques de crédit, les délégations de pouvoir, en fonction des notes,la définition des limites, par exemple par secteur d’activité, [...] la tarification, etc. »[Procès-verbal du CA du 14 décembre 2006]. La BM finit malgré tout par adopter laméthode NI, la plus financiarisée du cadre bâlois, sous la pression du superviseurbancaire national qui est souverain, au titre du « Pilier II », pour choisir le systèmede gestion des risques qu’il considère adapté aux activités d’une banque. Comme leDirecteur de la BM l’a expliqué, « choisir la méthode est un terme impropre. Lecontexte est contraignant. En tant que grand établissem*nt du groupe UBM, la Commission bancaire refuse l’utilisation de la méthode standard à la BM » [Compte rendu duComité des risques, 2008].

17L’étude des effets de ce nouveau cadre prudentiel sur la BM va nous permettre decomprendre comment la banque s’est financiarisée au travers de l’adoption de nouveaux outils d’évaluation et de contrôle des risques, puis la façon dont ces changements transforment ses relations de crédit et se répercutent sur sa clientèle de PME.Les éléments empiriques présentés sont issus d’une enquête conduite en 2009-2010dans le cadre d’une thèse de doctorat (Baud, 2013a). Une première période d’étudede sept semaines au siège de la banque fut suivie par une seconde au sein de cinqagences (une à deux semaines d’observation par agence). Ces périodes ont permisd’observer directement le travail des banquiers et d’utiliser quotidiennement les systèmes d’information de la banque. Lors de l’enquête, la BM était en train de finir lamise en place des exigences liées à « Bâle II ». Des récits des différents acteursimpliqués, au siège et en agence, dans la mise en œuvre du nouveau dispositif ontpu ainsi être collectés (53 entretiens) [12]. Enfin, un important matériel documentaire [13]incluant des notes de procédures, des comptes rendus de réunion et un échantillonde 80 dossiers de crédit a pu être rassemblé.

18Le fonctionnement de la BM est éloigné du modèle dominant de l’industrie bancairecentralisée « moderne » dans lequel la segmentation des offres et la standardisationdes produits permettent de dissocier les activités de vente, exercées au niveau localpar des agents relativement peu qualifiés, de celles de la conception de l’offre et ducontrôle, qui sont, elles, exercées centralement et forment le cœur de l’expertise dela banque. La BM fait partie des banques françaises marquées par leur héritage mutualiste, où la relation bancaire témoigne d’une volonté d’accompagner le client dansses projets de crédit dans une optique éducative (Moulévrier, 2012). Cela est renforcé,à la BM, par le fait que la clientèle est très majoritairement composée de petites outrès petites organisations, dont la diversité rend le traitement en masse difficile.Fournir des services offrant un bon rapport qualité/prix à des clients hétérocl*tes dontles activités sont souvent mal appréhendées par le secteur financier classique requiertd’acquérir une connaissance fine de leurs activités, tout en contrôlant les coûts defonctionnement. Pour y parvenir, la BM s’est structurée comme une organisationdécentralisée de professionnels « de terrain » [14] possédant une certaine autonomied’initiative et où la sélection et le contrôle des risques passent avant tout parl’expérience et la responsabilisation des banquiers. Néanmoins, l’autonomie est toujours encadrée et toute action doit être dûment documentée et justifiée afin de pouvoirêtre contrôlée.

19Nous décrivons maintenant ces pratiques qui permettent de documenter et d’évaluer les demandes de crédit afin de mesurer et de sélectionner les risques avant demontrer comment ce système traditionnel a évolué avec la mise en œuvre de« Bâle II ». Puis, nous montrons comment les méthodes de contrôle des risques ontelles aussi évolué. Nous réalisons ces descriptions, conformément à notre approche,à partir des outils utilisés par les professionnels.

20Deux outils supportent le travail d’évaluation des demandes à la BM : le dossierde crédit et le système de cotation des risques des clients. L’ouverture d’un dossierest cependant déjà l’aboutissem*nt d’un premier filtrage du risque effectué au plusprès du terrain et dont il ne reste pas nécessairement de traces dans les systèmesd’information. Dans cette toute première phase, c’est la compréhension de la dynamique économique du client qui prime.

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« Alors, comment on évalue les risques, pour de vrai. Moi, je vais vous dire une chose,sur du risque il y a [...] deux notions, à mon avis [...]. Sur le court terme, ça fait un peuvieille France, l’important, c’est [...] est-ce qu’il y a une cause au besoin de crédit courtterme ? Là, on va essayer de démêler l’écheveau. Ensuite, sur le moyen-long terme, làencore, il faut essayer de revenir, enfin, moi, j’essaie de ne jamais m’en écarter : est-ceque l’investissem*nt va être créateur de valeur ajoutée, et, si oui, comment, de combien ?Je crois qu’on doit vraiment, avant de penser au taux, aux garanties, aux opportunitéscommerciales, essayer de comprendre le besoin. C’est pas des mots en l’air. C’est-à-direqu’on essaie de voir en gros, ça apporte quoi, ce crédit, c’est la réponse à quoi ? » (DirecteurAgence 3).

22Mais la proximité avec les clients peut influer sur le niveau des risques pris [15].La réalisation du dossier de crédit vise ainsi à faire acquérir du recul sur lessituations, en imposant aux banquiers de structurer leur analyse avec une sériede « passages obligés [16] » puis de motiver leur avis ou leur décision. Les dossiersdonnent par ailleurs lieu à des développements soigneusem*nt argumentés [17], quiconfirment l’idée que, à travers le dossier de crédit, c’est une analyse fondée surl’appréhension du modèle économique du client et de la viabilité de l’opérationqui est recherchée, et non une appréciation financière en référence à des normesexternes de solvabilité ou de rentabilité. Le cas du dossier de l’entrepriseAluminium B (Encadré 3) fournit une bonne illustration de ce qui différencie cetteapproche « économique » d’une approche « financière » plus formelle et centréesur l’analyse des comptes.

Aluminium B est une petite fonderie d’aluminium dont les installations ont été reprisesil y a deux ans, suite à une liquidation judiciaire, par Monsieur B. L’entreprise a déposéune demande d’ouverture de lignes d’escompte à court terme (60 keuros) et de facilitésde caisse (20 keuros).
Une analyse financière des documents comptables de l’entreprise montre qu’elle esten forte croissance (hausse du chiffre d’affaires de près de 40 %), et que, si sa rentabilités’est réduite au cours de la dernière année, elle reste nettement rentable (le résultat netreprésente 2,5 % du chiffre d’affaires contre 4,5 % pour l’année précédente). Rentableet en croissance, Aluminium B est aussi bien capitalisée (les fonds propres représentent20 % du bilan total) et n’a pas de dettes financières. Elle est donc aussi particulièrementsolvable.
Pour autant, on comprend à la lecture du dossier que, aux yeux du banquier, cela nesuffit pas. Pour accorder ce financement, il cherche à comprendre le modèle économiquequi sous-tend le nouveau besoin et à en évaluer la pérennité. On peut alors lire queMonsieur B a cherché et su « conquérir une clientèle de première qualité » exigeant,certes, des volumes accrus mais dont la demande future sera plus stable (des exemplessont fournis). Pour répondre à cette demande accrue, l’entreprise a dû déménager, cequi a « perturbé la fin de l’exercice, avec un arrêt total de la production pendant quasiment dix jours » et contribue à expliquer le fléchissem*nt de la rentabilité. Le dossierexplique aussi que « le déménagement s’est passé sans heurt et que la croissance del’entreprise a tout de suite repris ». Par ailleurs, « l’activité devrait se stabiliser l’anprochain, car Monsieur B souhaite aujourd’hui avant tout dégager de la marge ». Lebanquier conclut donc que la croissance d’Aluminium B relève d’un choix stratégiquede long terme et que Monsieur B a ainsi « développé harmonieusem*nt son entreprise ».La demande de crédit est acceptée.

23Une fois rédigé, le dossier est ensuite un support d’échanges entre le banquier etson responsable en agence ou au siège.

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« Alors, le décideur va poser des questions parce qu’on a chacun ses marottes... ou sonexpérience, parce que les marottes, c’est l’expérience. Moi, j’ai ici 5 magasins d’optique quifont du crédit court terme. Au siège, ils en connaissent 50, donc s’ils me disent : “Oui, maistel autre cas ne paie plus ou paie à 6 mois”, ils vont attirer mon attention sur des choses queje n’avais pas vues. » (CC 2 Agence 3).

25C’est donc sur l’expertise du banquier et l’expérience de son responsable querepose, en dernière analyse, la validation du diagnostic.

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« Le crédit, en toute humilité, c’est de l’accumulation d’expériences. Il n’y a pas de trèsbon credit-man jeune. Il y a des mauvais vieux mais il n’y en a pas de très bons jeunes. C’estavec l’expérience qu’on peut dire : “Il faut faire attention à ça.” Il faut avoir analysé lesproblèmes qu’on a eus. » (Directeur Agence 5).

27L’évaluation et la sélection des risques fonctionnent donc à la BM sur un modeprofessionnel, visant une objectivité de type disciplinaire (Porter, 1995) [18], présentantainsi l’avantage de s’adapter aux cas rencontrés. Cependant, ce mode permet difficilement de comparer les risques, de les agréger ou même de s’en faire une idée rapide.La BM a donc établi un système complémentaire appelé « système de cotation descrédits », qui avait à l’origine vocation à disparaître avec la mise en place de lanotation selon « Bâle II ».

28La cotation vise à refléter un avis de synthèse « personnel » des acteurs sur laqualité d’un client du point de vue du risque [Principes et description du système decotation, juin 1999]. Il est d’ailleurs précisé dans les règles de cotation que les éléments non quantifiables et qualitatifs sont appelés à jouer un rôle « très important ».La cote va de A à E, le A correspondant à « très bon », le B à « bon », le C à « àsurveiller », le D à « excessif » et le E à « Affaire sensible ». C’est d’abord un outilde coordination du jugement (Batifoulier, 2001), qui permet d’établir un consensussur l’appréciation d’une situation au sein de la BM. En effet, les cotes proposées parl’agence en charge du compte sont ensuite systématiquement revues et éventuellementmodifiées par la Direction des crédits au siège, ce qui ne se fait généralement passans une discussion préalable avec les acteurs en agence. La cotation permet ensuitede disposer d’un indicateur synthétique reflétant les évolutions de la situation d’unclient. Ainsi, tout dossier de crédit rappelle l’historique des cotes ainsi que la proposition de cote faite par l’agence, puis la cote choisie par le siège. Enfin, la cote sertà identifier les affaires susceptibles d’entraîner des pertes (attribution de la cote E).Le client est alors classé en « Affaire sensible » et dit « exclu du réseau » : tous lespouvoirs de délégation des agences sont suspendus et toutes les actions concernantces dossiers doivent être préalablement validées par le siège.

29Dans ce système, si l’expérience accumulée par le décideur et le recul dont disposent les contrôleurs importent, l’évaluation est toujours fondée sur les informationstirées du terrain et rapportées par le chargé de crédit via les dossiers, ce qui contrastefortement avec le fonctionnement du système qui se met en place avec « Bâle II ».

30Dans le cadre de « Bâle II », l’estimation des risques se fait à partir d’un systèmede notation interne qui prend concrètement la forme d’une application informatiquedédiée, appelée « moteur de notation », et attribue à chaque client une note allant de1 (pour les « meilleurs ») à 16 (pour les « plus risqués ») [19]. Pour la plupart des PME,la notation fournie par le moteur ne peut en aucun cas être modifiée manuellementcar la réglementation requiert un traitement « en masse » des clients dont le chiffred’affaires est inférieur à 5 millions d’euros et les engagements auprès de la banqueinférieurs à 1 million d’euros (segment dit du « retail ») [20]. Le développement d’untel système suppose que soient inscrites dans les systèmes d’information de la banquedes informations suffisamment nombreuses et standardisées pour pouvoir former descohortes statistiquement représentatives, qui permettront de valider le moteur de notation en démontrant statistiquement sa capacité à discriminer les emprunteurs et àprédire leurs défauts. Il en découle que les éléments pris en compte par le « moteur »(Encadré 4) sont en pratique très peu nombreux, assez éloignés de l’activité quotidienne de l’entreprise et reposent le plus souvent sur des représentations formellesdes organisations, et non sur la connaissance acquise par les banquiers sur leursclients, leurs situations et leurs projets.

Les éléments susceptibles d’être pris en compte sont les suivants :

  1. Des informations d’identité : pays d’origine, secteur d’activité, CA, montant desencours à la BM, date du dernier bilan, etc.
  2. Les notations externes, quand elles existent : notes COFACE et Banque de France.
  3. Des informations financières tirées du bilan comptable.
  4. Des variables de comportement ou variables de comptes : allure du compte à vue,solde moyen débiteur maximum, montant de l’épargne, ancienneté de la relation bancaire,présence de dépassem*nts des autorisations de découvert ou d’impayés, etc.

L’activité quotidienne de l’entreprise n’est donc que très indirectement prise en comptepuisque, au mieux, seul le secteur d’activité peut induire des différenciations. De plus,hormis les données de comportement bancaire, la quasi-totalité des informations sont desinformations publiques souvent acquises en externe (achat de bilans, notes de la Banquede France, de la COFACE, etc.) et qui ne mobilisent donc pas la connaissance acquise parles chargés de crédit sur leurs clients. On notera aussi que les données collectées portenttrès majoritairement sur la situation et le comportement passé de l’entreprise (les documents comptables décrivent une situation observée deux à quatorze mois auparavant). Lesperspectives et les projets ne sont donc pas pris en compte. Au final, le moteur de notationfonctionne à partir d’un nombre relativement réduit de facteurs, en pratique encore plusréduit (fréquente absence de notation externe ou de bilan dépouillé).

31Le système de notation induit par ailleurs une transformation du rapport aux informations dont la BM dispose sur une entreprise (par exemple le délai moyen de paiement desfournisseurs). Ces dernières ne sont plus utilisées directement pour connaître sa situationparticulière mais indirectement pour nourrir un calcul dont seul le résultat – la notation –est considéré comme pertinent. Dans ce système, le lien entre les données et le risque dedéfaut est aussi purement formel : ce sont des variables dont l’évolution était corréléedans les échantillons qui ont servi à construire le modèle. Mais cette corrélation neprésume en rien d’une causalité, certains facteurs étant même tout à fait contre-intuitifs.

32

« Les statisticiens ont une base de données historiques, qu’ils regardent et qu’ils testent.Et on arrive à des choses assez amusantes. Par exemple, pour moi, jamais la somme desmouvements créditeurs nets sur un compte aurait été prédictive d’un défaut... Il y a des chosesqui sont vraiment très très étonnantes. » (Responsable pilotage des risques).

33Cette forme de notation, opérée automatiquement à distance des organisations àpartir de représentations formelles de celles-ci, présente selon ses promoteursl’avantage de fournir des estimations dont « l’objectivité » est garantie par le faibledegré de discrétion laissé aux acteurs de terrain. Le processus de notation est enoutre opaque pour eux. Le moteur donne une note mais les données, les critères etles pondérations utilisés ne sont pas mentionnés, et rien ne permet de comprendrece qui a pu provoquer une amélioration ou une dégradation de l’estimation. Celane pose pas de problème lorsque l’estimation fournie par le moteur convergeglobalement avec les estimations des chargés de crédit, ce qui se produit assezfréquemment [21].

34Il reste que ces derniers sont loin d’avoir une conscience très claire de ce que lanote est censée représenter, qui leur permettrait d’établir si elle correspond « vraiment » à leur perception du risque.

35

« Si on a une note sur 16, entre 8 et 9 je ne sais pas quelle est la différence. » (CC 2Agence 4).
« De 1 à 4, ça change beaucoup ? Non, je ne crois pas, je ne sais pas. » (CC 4 Agence 2).

36Seul le caractère « vraisemblable » est finalement contrôlé, constituant ainsi unecontrainte assez lâche quand on ne sait distinguer la différence entre un 1 et un 4.

37La notation contraste donc fortement avec le mode traditionnel d’évaluation desrisques qui partait d’analyses effectuées « au plus près du terrain » et coconstruitesen dialogue avec la ligne hiérarchique. Même si la nouvelle notation automatique nes’est finalement pas substituée à l’ancienne cotation mais s’y est ajoutée, l’obligationde l’opérer est déjà une évolution d’autant plus remarquable qu’elle concerne unsegment de clientèle, les PME, dont le risque est considéré classiquement commedifficile à objectiver à distance au travers de critères préétablis principalement financiers, laissant dès lors toute sa place à une « évaluation sociale » des risques (Ferrary,1999). Une évaluation automatique par un moteur sans recours au jugement humainest donc encore plus problématique, d’autant que l’information disponible pour lefaire tourner est souvent lacunaire (Encadré 4). Ceci explique la résistance des techniques traditionnelles d’intermédiation dans nombre de banques, alors même quel’estimation statistique des risques se développait pour le crédit aux particuliers. Lespratiques de la BM ne faisaient donc pas vraiment exception sur ce point. C’est doncbien la réglementation qui engage ces banques sur cette pente.

38Nous montrons maintenant que le même type de déplacement favorisant des jugements impersonnels et à distance est également à l’œuvre en ce qui concerne l’organisation du contrôle des risques. Obligée d’adopter la méthode NI, la BM a dû aussisatisfaire aux critères du use test définis par « Bâle II » à ce sujet.

39Le contrôle des risques vise d’une part à s’assurer que les personnes qui prennentles décisions de crédit les fondent correctement et sont autorisées à les prendre, d’autrepart à organiser un suivi des crédits qui permette de repérer les problèmes et, si nécessaire, d’intervenir pour les gérer. La gestion des crédits et de leurs risques était traditionnellement effectuée à la BM au sein d’une direction unique, la Direction des crédits,organisée par secteurs géographiques. Chaque membre de la Direction était responsablede l’ensemble des activités liées au crédit des agences d’une région. Leur rôle étaitd’autoriser l’octroi des crédits dépassant la délégation du Directeur d’agence, de contrôlerle respect des procédures d’octroi et d’effectuer le suivi des dossiers classés en « Affairedifficile » (cote E). Le Directeur de l’ancienne Direction des crédits explique :

40

« C’était une vue globale. Le chargé de crédit au siège était l’interlocuteur unique surtoutes les affaires liées au crédit d’un directeur d’agence, ou d’un chargé de crédit en agence.Donc, il avait cette approche globale et finalement une sensation, quand un chargé de créditau siège s’adressait à une agence, de ce qu’était l’agence, de ce qu’était le fonds de commercede l’agence, etc. Une vue complète sur le métier des risques de crédit. » (Ancien directeurdes crédits).

41C’était encore la Direction des crédits qui assurait le reporting des informationsrelatives aux engagements et à leurs risques auprès de la Direction générale, laquellepouvait contrôler les activités de la Direction des crédits via son service d’inspection(Inspection générale). Pour réaliser l’ensemble de ses missions, la Direction des crédits s’appuyait sur les dossiers de crédit et les cotations des clients, qui étaient l’occasion d’échanges hiérarchisés, le jugement des échelons supérieurs primant sur celuides agents de terrain. Ce système était complété par un dispositif de gestion desanomalies qui a été conservé sous « Bâle II ». Chaque chargé de crédit reçoit parquinzaine un état exhaustif des comptes de son portefeuille présentant des dépassem*nts d’autorisation de découvert ou des impayés. Il doit expliquer par écrit, comptepar compte, l’origine de ces anomalies et préciser les actions entreprises ou à entreprendre pour régulariser la situation. Les états commentés sont transmis au directeurd’agence qui peut intervenir, puis envoyés au responsable au siège qui suit l’agence.Celui-ci peut encore modifier les décisions prises par l’agence, et classer le client en« Affaire sensible » (attribution de la cote E) afin de « l’exclure du réseau » et deprendre la main sur le dossier.

42Dans le cadre de « Bâle II », il n’était plus possible de maintenir cette approche« globale et intégrée » du crédit et de son contrôle car elle contrevient au principe deséparation des fonctions de contrôle et de décision imposé par l’Accord (Encadré 5).

Pour obtenir l’agrément pour la méthode NI, les banques doivent organiser le contrôleinterne de leurs risques selon des principes très précis fondés eux aussi sur la doctrinefinancière dominante qui postule des acteurs opportunistes qui doivent être surveillés etcontrôlés par des acteurs indépendants (Jensen et Meckling, 1976). La norme devient celled’un emboîtement des contrôles sur quatre niveaux, chaque niveau de contrôle étantcontrôlé à son tour par un autre considéré plus « indépendant ». Le contrôle de premierniveau correspond au contrôle direct effectué par les chargés de crédits et leur filièrehiérarchique (dit « autocontrôle »). Le deuxième niveau (dit « contrôle interne ») vise principalement à vérifier le respect des normes et des procédures au premier niveau, et àcontrôler et entériner les décisions qui y sont prises. Le Comité impose que les équipesde contrôle interne soient « indépendantes, sur le plan opérationnel, des fonctions (personnel et gestion) à l’origine des expositions » (CBCB, 2006, §441, p. 107). L’indépendancedes contrôleurs vis-à-vis des contrôlés ne suffit cependant pas à garantir l’intégrité ducontrôle : les contrôleurs de second niveau étant intégrés à la structure organisationnellede la banque, ils pourraient subir des pressions de la part de certains dirigeants par exemple,afin de minimiser, temporiser ou ne pas révéler les failles existantes dans le contrôle oules processus d’estimation des risques. Il faut donc contrôler les contrôleurs. C’est le rôledu contrôle de troisième niveau qui doit être réalisé par des équipes « d’audit interne ».Ces équipes évaluent régulièrement les procédures de contrôle et les systèmes de quantification en place. Ici aussi le Comité de Bâle insiste sur l’indépendance des équipes. Enpratique, cela passe par leur rattachement direct à la présidence et au conseil d’administration de la banque. C’est ce dernier qui est, en dernière instance, en tant que responsablede la gestion des risques occupant le quatrième niveau – lequel est d’ailleurs aussi contrôlépuisque les autorités de supervision bancaire doivent s’assurer que le système répond àleurs exigences de qualité – effectivement mis en place. Elles peuvent mener des missionsou commander des audits externes afin de le vérifier.

43La mise en œuvre de « Bâle II » a impliqué concrètement de construire une Direction des risques à partir et à côté de l’ancienne Direction des crédits. La Directiondes crédits est désormais uniquement en charge du contrôle de « premier niveau ».La Direction des risques devient responsable du contrôle de « deuxième niveau ».Toutes les décisions liées aux crédits sont ainsi insérées dans un système dual : ellessont prises au sein de la filière crédit, qui doit, pour ce faire, respecter les procéduresétablies par la Direction des risques, puis elles sont contrôlées au sein de la filièrerisque. Une Direction de l’audit interne a été créée à partir de son prédécesseur,l’Inspection générale (qui disparaît alors) pour prendre en charge le contrôle de « troisième niveau ». Enfin, le « quatrième niveau » de contrôle est assuré par un Comitédes risques créé au sein du conseil d’administration. Au final, le contrôle et le pilotagedes risques ont été désencastrés du reste de la structure organisationnelle afin d’êtreen mesure d’imposer leurs propres exigences et procédures aux entités en charge desdécisions et de la gestion des crédits.

44La méfiance institutionnalisée par le nouveau dispositif de contrôle fait écho à lafois à l’objectivité mécanique privilégiée dans la notation, destinée à empêcher aumaximum les interventions humaines toujours suspectées de conflits d’intérêt, et àson opacité pour les chargés de crédit, qui sont autant de conséquences des a prioriopportunistes de la théorie financière qui a informé l’ensemble du dispositif réglementaire. De nouveaux indicateurs de risques reposant sur une appréhension statistique ont donc commencé à exister formellement, accompagnés d’un discours delégitimation mettant en avant leur « précision » et leur « modernité » [22]. Une nouvelleorganisation s’est aussi mise en place, tendant à distendre les formes de coopérationentre les chargés de crédit et leur hiérarchie autour du jugement collectif des dossiersau profit d’une augmentation de la relation de contrôle. À l’heure de notre enquête [23],ces transformations ne s’étaient pas accompagnées d’une transformation des profilsdes personnels en agence ni d’une réorganisation de ces dernières. Le changementtouchait surtout les outils de travail et les procédures de contrôle de ce travail, quiont dû incorporer des formes de pensée et d’agir inspirées par la théorie financière.L’objectif de la dernière partie est de montrer ce que font ces changements instrumentaux à la relation de crédit avec les PME.

45Si, au moment de l’enquête, la notation bien que calculée et reportée dans lesdossiers n’apparaît pas comme un indicateur prégnant (Boussard, 2001) pour évaluerles dossiers, sa mise en place a conduit à transformer les pratiques de tarification età remettre en cause le mutualisme auparavant défendu par la BM. Ainsi, même s’iln’est pas forcément perceptible par les clients, le poids de la notation se fait sentirdès la conception de l’offre commerciale. Mais c’est surtout au cours de la vie ducrédit et dans la relation quotidienne avec la banque que les clients sont affectés parce changement. La mise en place de la notation impose en effet de nouvellescontraintes qui peuvent faire basculer la relation dans une gestion « à distance » parle siège et exigent des clients un comportement financier plus « discipliné » et uneplus grande « transparence ».

46Afin de recevoir l’agrément pour la méthode NI, la BM doit prouver que la notationjoue un rôle dans les décisions d’octroi de crédit, ce qui a conduit au report systématique de la note dans les dossiers de crédit. Cependant, lors de l’enquête, il étaitclair que la notation n’était pas mobilisée par les banquiers pour prendre leurs décisions. Ainsi nous n’avons jamais trouvé la note mentionnée pour justifier la décision,même lorsqu’elle était bonne, dans les 80 dossiers analysés. Lorsqu’elle étaitcommentée, c’était généralement pour être contestée, étant mauvaise alors que ledossier semblait « bon » au chargé de crédit. La faible prégnance du nouvel indicateurétait frappante : alors que les chargés de crédit étaient généralement capables derestituer très précisément la plupart des informations contenues dans un dossier decrédit, lorsque nous leur demandions la notation du client concerné, ils ne s’en souvenaient généralement pas [24]. En revanche, tous connaissaient la cotation interne et engénéral la cotation Banque de France.

47Une hypothèse pourrait être que la notation, contrairement à ces deux autres indicateurs, n’était pas implantée de longue date à la BM. Mais la discussion avec leschargés de crédit les plus récemment arrivés fait apparaître que ce n’est peut-être pasla seule raison. La cotation semble en fait plus en prise avec l’évolution du client.

48

« Déjà, la différence entre la cotation et la notation interne, c’est que nous, chaque foisqu’on va faire un crédit, on va coter l’entreprise, alors que la notation, c’est une situation surl’année entière par rapport à un résultat de 2008, par exemple. Donc, déjà, il y a ces différences. » (CC 3 Agence 4).

49De plus, lorsqu’il y a peu d’engagements, la cotation le prend en compte alors quela notation ne permet pas de le signaler. La cotation semble donc constituer, aux yeuxdes chargés de crédit, un meilleur indicateur du risque encouru « en instantané ».

50

« J’étais surprise tout à l’heure, j’étais avec XXX, la cote interne c’était B, donc plutôt unbon dossier, mais la notation c’était un 10 sur 16. Et, a priori, c’est pas une super note alorsque B c’est plutôt une bonne cote, donc je me demandais d’où pouvait venir cette différence.

– En fait, les notations ne sont pas forcément cohérentes, on va dire que le groupe dontvous parlez, il n’a pas d’engagements. Donc, déjà, ils nous donnent pas les bilans tous lesans et j’imagine qu’on ne passe pas un temps fou à trouver le bilan d’un client qui n’a pasd’engagements chez nous [...]. Après on sait qu’un client qui n’a pas beaucoup d’engagements, qui ne déclare rien à la Banque de France, qui n’est jamais à découvert, ça vaut Bparce qu’il n’y a aucun risque sur ce client en instantané parce qu’il n’emprunte pas, donc iln’y a pas de risque. » (CC 1 Agence 5).

51L’absence de prégnance de la notation apparaît liée à ses caractéristiques. Mode« formel » d’évaluation, elle ne prend en compte ni les spécificités, ni le projet économique des acteurs ; elle ne permet pas de déterminer la « cause du besoin », nid’évaluer comment l’emprunteur pourra concrètement tenir ses engagements, touséléments jugés essentiels par les banquiers de la BM. De plus son « opacité » la renddifficilement mobilisable dans une démarche de justification : soit le chargé de crédit« sait » (ou pense savoir) pourquoi la note est bonne ou mauvaise et, dans ce cas,elle n’apporte pas d’éléments nouveaux, soit il ne « sait pas » et ne peut pas savoir.Cependant, si le dossier est accepté sans recourir à la notation, cette dernière devientessentielle pour déterminer le taux qui pourra être proposé au client.

52Conformément aux exigences réglementaires, la notation est désormais indispensable pour fixer le taux applicable. Avant la réforme, la tarification n’était pas indépendante du risque à la BM. Mais le coût du risque était estimé par grands produitset mutualisé entre l’ensemble des emprunteurs ayant recours au même produit. Desgrilles de tarification précisaient un tarif « cible » pour chaque produit, qui est le tauxde « départ » dans la constitution de l’offre commerciale. Des décisions d’ajustementà la hausse ou à la baisse pouvaient ensuite intervenir de manière très strictementencadrée.

53Le taux-cible est désormais ajusté à la hausse ou à la baisse pour chaque crédit enfonction de la note de l’emprunteur. La Figure 1 présente le taux-cible applicablepour un crédit d’une maturité de dix ans, qui était de 604 points (soit 6,04 %) aumoment de la mise en place du nouveau système, en septembre 2008. La prise encompte de la notation conduit à le faire varier entre 564 et 724.

FIGURE 1

Comment les firmes se financiarisent: le rôle de la réglementation et des instruments de gestion. (1)

25 Sources et méthode : L’ajustement par la notation a été établi à partir de la grille d’ajustementfournie aux chargés de clientèle pour établir les taux-cibles ajustés pour chaque note [Règles detarification, 26/9/2008]. En pratique, il n’existe que 18 niveaux d’ajustements (un pour chaque« note »). De ces données, nous avons extrapolé une fonction continue permettant de rendre le systèmeplus lisible et de préserver la confidentialité des données.

54Le pouvoir d’ajustement commercial sur les taux a en outre été légèrement réduit,de 70 à 50 points. Et un nouveau système d’incitation a vu le jour afin d’orienter ladécision locale vers une adhésion à ce nouveau principe de tarification : la rémunération des agences pour leur activité de crédit a été augmentée et une « prime » de25 % sur cette rémunération est désormais accordée si le crédit est conclu sans remisecommerciale, en appliquant strictement le taux-cible.

55La BM a donc réduit les possibilités et les incitations des agences d’ajuster commercialement les tarifs et opté pour une tarification en fonction de la notation, dérogeantaux principes mutualistes. Ce problème avait d’ailleurs été identifié à la BM dès lanégociation des Accords, de 1998 à 2001, justifiant à l’époque une forte mobilisationcontre ce cadre. Le directeur du développement explique ainsi, dans des notes préparatoires à une prise de parole dans une réunion internationale de banques mutualistes en 2001 :

56

« Chaque client est individualisé, étiqueté, classé dans une série statistique, chaque sérieest elle-même examinée, classée en fonction de l’historique des incidents vécus [...]. Cetteapproche statistique probabiliste ne fait nul cas des relations de solidarité que la banquepourrait préconiser compte tenu de la proximité existant entre les emprunteurs et que mettaienten œuvre les sociétés de caution mutuelles. Cette technique de mutualisation des risques estau contraire considérée comme un risque supplémentaire [par la réglementation]. Cette technique, affichée comme neutre, est, de mon point de vue, la plus belle machine de guerrecontre les banques coopératives : la probabilité contre la mutualité – il ne s’agit plus dedémutualisation mais d’antimutualisation. »

57Si, sur la question de l’évaluation des dossiers, les chargés de crédit semblent réussirà ignorer la note, sur la question des règles de tarification, pourtant centrales dans leprojet bancaire de la BM, les résistances apparaissent plus difficiles à organiser. Nousavons dû entrer en profondeur dans la construction technique du système pour identifierquelques « arrangements » avec l’idéal de la tarification par le risque promu par laréglementation. Ceux-ci tentent d’adoucir les effets du nouveau système pour certainescatégories d’acteurs particulièrement mal notés par le moteur. Alors que le taux-cibleest censé augmenter en continu au fur et à mesure que la probabilité de défaut augmente,la BM a décidé de le plafonner (Figure 1) pour la catégorie la plus risquée qui représentaitenviron 10 % de ses clients et 4 % de son encours fin 2007. De même, profitant de sasituation capitalistique particulière, la BM a aussi choisi, à partir d’un certain niveau derisque, de faire porter le coût moyen des pertes estimées par le tarif, mais de ne pasaugmenter encore le taux en y ajoutant le coût des fonds propres réglementaires nécessaires pour couvrir le risque (Baud, 2013a, p. 510 sq.). La BM pouvait d’autant plus sepermettre ces petit* ajustements qu’elle n’avait pas renoncé, au moment du passage à« Bâle II », à s’appuyer sur les jugements de ses banquiers de terrain pour prendre lesdécisions de crédit et évaluer les risques autrement.

58Pour significatifs qu’ils soient d’une volonté de ne pas tourner le dos à son histoire,ces aménagements ne remettent cependant pas en cause le principe de la tarificationpar le risque qui fait son entrée à la BM. De plus, loin d’être affirmés, ces aménagements ne sont visibles que lorsque l’on analyse précisément le paramétrage desmodèles financiers utilisés. Il n’est donc pas sûr que ces petit* compromis perdurentdans le temps, au fur et à mesure que se perdra la mémoire d’une autre pensée durisque et de la tarification.

59Cette évolution est d’autant plus vraisemblable que les chargés de crédit ne perçoivent quant à eux que la structuration plus « guidée » de la tarification et qu’ils nela vivent pas forcément mal. Lorsqu’on les interroge, ils soulignent tout l’intérêt dene pas établir des taux uniquement en fonction du rapport concurrentiel, même s’ilsne sont pas sûrs que ce soit « plus juste » :

60

« Dans le système d’avant, on tenait compte uniquement de la concurrence. Certainsclients de bonne qualité, on leur faisait des taux chers parce qu’ils n’allaient pas voir ailleurset certains clients de mauvaise qualité étaient tellement multi-bancarisés et tellement sur lejeu de la concurrence tout le temps qu’on leur faisait des taux défiants toute concurrence. Etc’est vrai qu’on s’en rendait compte et qu’on se demandait : “Mais pourquoi, finalement, ceclient qui représente un risque important il paie moins cher ?” On sentait que ce n’était pasforcément logique. Surtout que certaines banques avaient déjà des systèmes de notation enfonction du risque et que, nous, c’était pas le cas. En discutant avec des personnes quitravaillaient dans d’autres banques, elles nous disaient : “Eh bien oui, quand on a une qualitémédiocre, on est obligé de revoir le taux.” Alors que nous c’était pas le cas. [...] Alors,justice ? Je ne sais pas trop. Dire qu’un client qui ne va pas bien doit payer cher... est-ceque c’est juste ? C’est ça la grande question ! De toute façon, aujourd’hui, c’est comme ça,les clients qui vont le plus mal, c’est ceux qui payent le plus cher. » (CC 5 Agence 1).

61

« Pour les clients qui ne sont pas de bonne qualité, en général, la question c’est de savoirs’ils vont avoir le prêt ou pas. Donc s’ils paient 4,5 % ou 5 %, sur le fond, ça va pas changerfondamentalement. Mais, en même temps, ça ne contribue pas... Enfin, le système est faitcomme ça et il a sa logique : forcément, plus de risque, c’est un coût à répercuter. Je trouvele système quand même plus logique que celui où on ne considérait que l’aspect commercial. »(CC 1 Agence 4).

62Quant aux clients de la banque, ils ne savent pas forcément quelle différence il ya entre le taux actuel et celui qu’ils auraient eu auparavant. Au final, ce qui est unchangement très profond du modèle de banque est à peine perceptible car porté pardes outils et imposé au travers d’une conformité réglementaire au nom de la sécuritéfinancière. Ce qui se passe est pourtant bien une réduction forte de la variété despratiques bancaires et leur alignement progressif sur des pratiques plus soucieuses derémunérer les actionnaires que de servir les clients et de financer l’économie, c’est-à-dire un processus de financiarisation.

63La sociologie du crédit a mis en évidence, sur le cas du crédit aux particuliers,que s’opposaient au moins deux logiques, une logique « sociale » soucieuse d’accompagner, voire d’éduquer, l’emprunteur non exempt de violence sociale [26] (Lazarus,2009) et une logique « commerciale » où le jeu consiste à vendre aux clients desproduits précalibrés en fonction de leurs « profils » (Vézinat, 2011). Couplé à uneapproche marketing, le développement de techniques statistiques a permis d’élargirl’offre de crédit à des segments de clientèle auparavant considérés comme trop risquésou peu rentables (Marron, 2007 ; Poon, 2009 ; Lazarus 2012a) et a plutôt alimenté lalogique « commerciale » de placement de produits (Lazarus, 2012b). Cette tension,très bien documentée pour les clientèles de particuliers mais aussi pour les PME(Ferrary, 1999), entre le modèle traditionnel de relations de crédit socialement encastrées d’une part, et celui de la relation commerciale intermédiée par un outillagestatistique impersonnel d’autre part, se retrouve dans notre cas si ce n’est qu’elle nejoue pas de la même manière. La relation de crédit traditionnelle de la BM avec lesPME est elle aussi socialement encastrée, mais les transformations que nous décrivonsne relèvent pas directement de la logique « commerciale ». Nous identifions plutôt,grâce notamment à une attention fine aux outils, une logique « financière » au sensoù le cœur de la relation est structuré par la nécessité pour la banque de maîtriser larentabilité de ses fonds propres en s’assurant que le taux est sans cesse rapporté aurisque et au coût des fonds propres nécessaires pour le couvrir.

64Si elles ne sont pas nécessairement visibles pour les clients lors de la décision decrédit, les exigences du nouveau système se manifestent néanmoins fortement via latarification, puis tout au long de la relation, en créant de nouvelles obligations,contraintes et sources de coût pour les PME.

65Toutes les banques disposent de systèmes encadrant l’autonomie de décision desbanquiers, qui se voient notamment octroyer des niveaux de délégation. À ceux-ci s’ajoutent des systèmes d’exclusion permettant de retirer à l’agence tout pouvoir de décisionsur un dossier. Ainsi à la BM, traditionnellement, le jugement professionnel partagépouvait déboucher sur l’attribution de la cote E déclenchant « l’exclusion du réseau ».

66Dans le cadre de l’agrément pour la méthode NI, les notations ont elles aussi étéintégrées dans ces procédures qui ont donc été modifiées. Les délégations ont été revuesà la hausse pour les « bons » dossiers (notés de 1 à 7), et à la baisse sur les dossiers dits« moyens » (8 à 14). Certains banquiers considèrent d’ailleurs qu’il s’agit de la fonctionprincipale de la notation, qui est « tellement synthétique qu’elle ne sert plus à rien, saufà savoir dans quelle catégorie, notation supérieure ou moyenne, on va être pour lesdélégations » (CC 1 Agence 2). Mais, surtout, dès que la notation se dégrade au-delà de14 [27], l’exclusion du réseau est automatique, sachant que cette dégradation est elle-mêmeautomatique dès que se manifestent certains événements comme l’enregistrement d’unincident de paiement (rejet de chèque, etc.) ou d’un « impayé » [28] se prolongeant au-delàde 30 ou 90 jours [29], quel qu’en soit le montant. Or, l’attribution de ces mauvaises notes,en supprimant l’autonomie de décision du banquier de terrain, prive aussi le client d’unerelation directe avec un interlocuteur ayant acquis une connaissance fine de sa situation.La relation de crédit se trouve alors brutalement désencastrée et bascule vers un modede gestion « à distance », par le siège, beaucoup plus facilement qu’auparavant, et sansaucune possibilité d’aménagement. Ces événements ne sont pas rares : lors de la premièreannée de fonctionnement du système, le responsable du pilotage des risques estimaitque plus de 10 % des encours de crédits détenus par de petit* professionnels avaient, àun moment ou un autre de l’année, été dégradés jusqu’à l’exclusion du réseau et la miseen défaut, très souvent à cause de dépassem*nts légers, mais de plus de 90 jours, deleurs autorisations de crédit de trésorerie. C’est alors à la Direction des crédits, au siège,qu’il revient de décider si ces petit* dépassem*nts témoignent d’une gestion peu rigoureuse ou de difficultés structurelles.

67Par ailleurs, ces mises en défaut « automatiques » ont aussi des conséquencesimportantes pour la banque, car toutes les lignes de crédit détenues par les emprunteurs concernés sont mises en défaut (règle dite de « contagion ») et comptabiliséesavec une probabilité de défaut de 100 % dans le calcul des exigences en capital. Lesprobabilités de défaut étant généralement de quelques pour cent seulement, cela multiplie par 10, 20, ou plus les exigences en capital pour ces crédits, et peut donc finirpar peser lourdement sur le ratio global de capitalisation de la banque.

68Ce sont tant les désagréments afférents aux exclusions intempestives du réseauparfois difficiles à justifier que les effets en chaîne sur les exigences en fonds propresqui ont poussé la BM à être beaucoup plus exigeante sur la rigueur de ses clients. Ellequi était considérée comme bien capitalisée s’est aperçue que ses pratiques bancairesde « souplesse » auprès de ses clients (qui pouvaient par exemple se contenter deprévenir par téléphone du retard d’un encaissem*nt) généraient des exigences encapital d’un niveau incroyablement élevé.

69Tout au long de la vie du crédit, le respect scrupuleux du calendrier et des limitesprévues au crédit est donc devenu un objectif que les chargés de crédit doivent respecter afin de ne pas augmenter les exigences en capital. Comme l’indique le siteintranet de la banque, « le respect des règles, partie intégrante de toute prise de responsabilité, s’accompagne désormais d’effets mécaniques réglementaires qu’il fautintégrer dans une pratique quotidienne ».

70Quant aux clients, il s’agit de leur permettre de ne pas basculer dans les procéduresd’exclusion tout comme de ne pas dégrader leur note et donc les tarifs futurs qui leurseraient proposés. Si les écarts de discipline financière ont toujours engendré desformes de sanctions, tant en termes financiers (intérêts supplémentaires, frais fixesprélevés sur les incidents de paiement) que relationnels (entame de la confiance),d’autres éléments se surajoutent désormais.

71La nouvelle discipline porte en effet aussi sur la communication d’informations parles PME dont les formes ont profondément changé. Dans le modèle traditionnel, le banquiers’intéresse à une entreprise/un entrepreneur avec qui il évalue sa situation et le projet decrédit en suivant une démarche ad hoc et collaborative, faites d’allers-retours sous formede questions-réponses. Il faut désormais alimenter un système de notation qui évalue lecrédit financier accordé à une signature particulière, indépendamment d’une demande deprêt, et suivre continuellement la situation et le comportement financier du client selonune démarche systématique et formelle : le client doit transmettre toutes les informationssusceptibles de faciliter sa (bonne) évaluation par le moteur, même s’il ne souhaite pasemprunter, car il pourrait en avoir besoin un jour. Le client est a priori suspect de profiterde l’asymétrie d’information et de tenter de cacher les mauvaises nouvelles, si bien quetoute absence d’information est sanctionnée par l’algorithme. Régulièrement, les chargésde crédit sont donc incités à récupérer les données de « connaissance client », opérationsjustifiées officiellement par la volonté d’améliorer la relation client.

72

« Pourquoi est-il important de convaincre le client de nous remette un maximum d’éléments ? La notation repose sur la connaissance du client et de son environnement : celle-cidoit donc être reportée dans nos systèmes d’information. Ils permettent d’assurer la pérennitéet la qualité de la relation client. Plus cette connaissance est détaillée dans nos systèmesd’information, plus la notation reflétera la qualité du client et de notre relation. » [Foire auxquestions notation, document à disposition sur l’intranet, 2009].

73Les clients de la banque sont donc pris dans une nouvelle discipline, qui impliquede nouvelles sources de coût. Au coût direct de la production des informations utilesà la notation s’ajoute le surcoût auquel ils s’exposent s’ils ne les transmettent pasrégulièrement et dans les standards attendus en cas de demande de crédit.

74La nouvelle discipline financiarisée imposée aux PME dans le nouvel environnementréglementaire est largement reconnue par les pouvoirs publics. En témoigne un guidepublié par la Commission européenne en 2007 (CE, 2007) destiné à aider les PME à maintenirleur accès aux financements dans le nouvel environnement règlementaire. Ce guide,élaboré par les entreprises de conseil McKinsey et System Consulting Network, vise à« donner aux PME des conseils pratiques sur la manière de s’adapter de manière proactiveaux changements du “processus de crédit”, afin qu’elles puissent bénéficier des avantagespotentiels et échapper autant que faire se peut aux inconvénients possibles de la nouvelleattitude des banques, désormais plus attentives aux risques » (p. 6). L’une des « règles-clés » est : « Fournissez une documentation claire et complète en temps utile. » (p. 22).L’idée est que les banques vont accroître le volume des informations demandées (p. 21) etque, « conformément au principe d’une gestion prudente des risques, de nombreusesbanques seront enclines à craindre le pire si les informations concernant la situation del’emprunteur sont incomplètes » ou « tardives » (p. 23). La règle « Gérez activement votrenotation » enjoint d’identifier les principaux facteurs qui déterminent la notation, de se« concentrer » dessus et de « s’efforcer » de les gérer « le mieux possible » afin d’améliorerla note. Les principaux facteurs mentionnés (p. 29) sont le ratio d’endettement, la liquiditéet la rentabilité. Les PME qui ne calculaient pas ces ratios sont incitées à s’en préoccuper, cequi peut conduire à une financiarisation de leur propre gestion [30]. La règle « Faites ce qu’ilfaut pour conserver votre crédit » rappelle que la notation est un « processus permanent »(p. 30) et qu’il faut donc « s’efforcer d’éviter tout découvert inutile », « veiller à effectuervos remboursem*nts en temps voulu », et savoir que « les comptes peuvent faire l’objetd’une surveillance automatique destinée à détecter tout mouvement exceptionnel » (p. 30).

75La nouvelle réglementation ne se contente donc pas de financiariser les pratiques bancaires. Ces dernières tendent aussi à diffuser dans l’ensemble du tissu économique unenorme d’orthodoxie financière insistant sur la rentabilité et les ratios de solvabilité. Cefaisant, elles appellent à un nouveau « souci de soi » financier de la part des entreprises.

76Le cas de la mise en œuvre de la réglementation de « Bâle II » dans une petite banquemutualiste nous a permis d’éclairer d’un jour nouveau le processus de financiarisation àl’œuvre dans le capitalisme contemporain. Ce processus transporte avec lui des conceptions particulières et une instrumentation issues du monde de la finance qui tendent àtransformer des espaces de plus en plus larges bien au-delà des seules entreprises ayantune partie de leur capital aux mains de fonds d’investissem*nt. Des dispositifs de gestion,inspirés par la théorie financière, sont proposés pour contrôler une sphère financièrelargement libérée grâce à cette même théorie. Ils sont intégrés dans des cadres normatifsrendus obligatoires par la loi (ici une directive européenne) et mis en œuvre au niveaunational par les autorités publiques de régulation. Ce faisant, la puissance publiquecontribue à la diffusion des normes financières dans l’ensemble de l’économie bien au-delà des espaces que les acteurs des marchés financiers eux-mêmes peuvent atteindre.Dans le cas de la BM, la mise en œuvre des nouvelles dispositions prudentielles a eu poureffet d’introduire une nouvelle façon de penser, d’évaluer et de gérer le risque contribuantà faire évoluer le métier de banquier et à le financiariser. Celui-ci se rapproche plusfortement des prescriptions inscrites dans la théorie financière qu’il contribue à performer(MacKenzie et al., 2008 ; Muniesa et Callon, [2009] 2013) et est désormais marqué parune prise en charge distribuée du souci de minimiser le coût en capital réglementaire,qui est aussi celui d’augmenter le rendement des capitaux propres. Les PME clientes dela banque sont par ailleurs prises dans un nouveau système disciplinaire qui les engageà communiquer plus fréquemment des informations standardisées, à plus de rigueur financière et à se préoccuper plus activement de la gestion de leurs ratios financiers. Cettetransmission progressive de normes financiarisées du cadre réglementaire jusqu’à la clientèle de PME de la banque s’opère au travers de multiples traductions en outils et procédures,touchant des questions très diverses (l’évaluation des dossiers de crédit, la fabrication destarifs, les systèmes de délégation et de contrôle au sein de la banque, la gestion desincidents de paiement, ou encore la collecte d’informations sur les clients) qui sont autantd’espaces où les pratiques antérieures sont redéfinies pour intégrer les principes et dispositions de la réglementation et où la banque mutuelle tente, mais avec un succès souventmitigé, d’en amortir les effets pour ses clients-sociétaires.

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Comment les firmes se financiarisent : le rôle de la réglementation et des instruments de gestion. (2024)
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